La fabrique du parc – épisode 3

ÉPISODE 3 : DÉPOLLUTION ET RÉEMPLOI DES TERRES

 

Avec ses 16 hectares, le futur parc du ruisseau des Aygalades nécessite de grandes quantités de terres de qualité suffisante pour accueillir du public et permettre aux végétaux de se développer. Ses sols actuels sont aujourd’hui pollués ou inertes[1] et incapables de répondre à ces objectifs. Ne pouvant importer tout le volume de terre nécessaire à la création de ce parc pour des raisons économiques et écologiques, des solutions vont être étudiées et mises en place pour traiter et réemployer la terre déjà présente sur le périmètre. Quel est l’état des sols sur ce secteur ? Comment mettre en œuvre leur dépollution ? Pourquoi et comment privilégier une démarche fondée sur des principes d’économie circulaire et de réemploi ? 

 

Des sols pollués par l’ancienne activité industrielle du site 

 

Dû à son passé industriel (voir article 1), une partie des sols du périmètre Euroméditerranée 2 sont dits pollués. Un sol est caractérisé comme pollué lorsque la concentration de composants chimiques et/ ou radiochimiques dépasse les seuils règlementaires. Au-delà d’un certain seuil, ces sols peuvent être considérés comme déchets dangereux et sont traités d’une manière très spécifique. Sur le secteur qui accueille aujourd’hui le parc Bougainville, certains sols étaient pollués aux hydrocarbures et présentaient des concentrations de métaux lourds importantes[2]. L’espace du futur parc du ruisseau des Aygalades connait également une pollution due au passé industriel. En effet, l’existence de produits chimiques dans les sols a été attestée et s’explique par l’implantation d’une ancienne usine de fabrication de peintures et de solvants. D’autres pollutions proviennent des activités de l’ancienne gare SNCF.   Des traces d’hydrocarbures causées par les fuites de diesel des trains et par les activités industrielles passées ont été retrouvées. De même, la présence de créosote -un produit toxique utilisé pour traiter le bois des traverses de chemins de fer- a été attestée dans les sols. Des analyses sont toujours en cours pour affiner les connaissances sur la composition des sols et des pollutions présentes.

 

Photo de la gare de fret Marseille-Canet et ses principales pollutions

 

Le réemploi des terres : une nécessité pour un aménagement durable 

 

Dans le cadre de ces projets d’aménagement, Euroméditerranée s’est engagée à traiter et réutiliser au maximum les terres sur place. Cette méthode limite considérablement l’import en grande quantité de terres extérieures au territoire, qui proviennent souvent de territoires ruraux. Par conséquent, elle a également pour avantage la réduction de l’usage du transport routier et la création d’emplois à l’échelle locale. La dépollution et le remploi sont ainsi utilisés autant que possible. 

 

Dépolluer pour réemployer : les méthodes mises en œuvre

 

Dans le cadre de l’aménagement du parc Bougainville, plusieurs méthodes ont été mobilisées et sont également prévues dans le cadre des travaux du futur parc du ruisseau des Aygalades. Pour les sols pollués aux hydrocarbures c’est le traitement par biotertre qui est utilisé. Ce traitement consiste à introduire des micro-organismes dans les sols qui, par leurs actions, participent à la dégradation des polluants. Une fois la dégradation des hydrocarbures effectuée, la terre peut être utilisée en remblais pour combler un trou ou créer une pente. Même après avoir été dépolluées, ces terres sont utilisées pour former la couche inférieure du sol et sont inaccessibles pour le public. Cette méthode est développée autant que possible pour réemployer un maximum de terre sur place. Au total, plus de 1 500 m3 ont été dépollués par biotertre sur le parc Bougainville. Les contraintes d’espace disponible et de temps sont aussi des facteurs limitant sur la quantité de terres pouvant être dépolluées par cette méthode.

Les sols connaissant des seuils trop importants de pollution tels que ceux pollués par la créosote sont envoyés et traités par des usines spécialisées. 

 

FricheEco : un programme d’envergure pour le réemploi des terres 

 

L’aménagement du parc du ruisseau des Aygalades nécessite une grande quantité de terre végétale -  de l’ordre de 100 000 mètres cube. Cette terre est composée de matières organiques et minérales, son épaisseur peut être variable entre 40cm et 1,30 mètre, elle est la plus importante pour le bon développement des végétaux (voir schéma ci-dessous). Cette terre peut soit être prélevée en milieu rural (terres agricoles fertiles), soit être issu d’une démarche d’économie circulaire hors site en ayant recours à des gisements excavés sur d’autres secteurs – dans ce deuxième cas la qualité et la traçabilité des terres est très complexe à maîtriser et les retours d’expérience commencent à émerger au niveau national. L’objectif du programme FricheEco lancé en 2023 est de valoriser au maximum les matériaux du site des Aygalades en réalisant un tri assez fin pour conserver les fractions de sol intéressantes et en apportant des amendements nécessaires (composts et argile notamment) afin de structurer un sol fertile. Cette démarche est bien moins répandue et sera très probablement inédite à cette échelle sur le territoire national. Cela permet de limiter des excavations nécessaires à la réalisation du projet qui visent notamment retrouver un lit naturel pour le ruisseau qui est aujourd’hui canalisé et enterré.

FrichEco est lauréat de l’appel à projets de recherche pour la « GEStion Intégrée des sites POLlués » (GESIPOL) lancé par l’Agence de la transition écologique (ADEME)[3]. Son objectif est de créer un « petit cycle des terres » à Marseille, c’est-à-dire de mettre en œuvre des pratiques d’économie circulaire[4] et de réemploi des terres dans le cadre des projets de renouvellement urbain menés par Euroméditerranée. Le programme consiste à mesurer - via des prélèvements réguliers - l’ensemble des matériaux présents dans les sols actuels pour les réutiliser à bon escient afin de former une terre végétale de qualité, propice au développement des végétaux. Il s’agit par exemple d’identifier les argiles présentes dans le sol pour parvenir à reconstituer le complexe argilo-humique détenant de fortes propriétés de stockage de rétention des éléments minéraux nécessaire au développement des végétaux dans le sol et ainsi source de fertilité pour les sols. 

 

Schéma illustrant la stratification du sol

 

De premiers tests ont été réalisés dans le cadre d’une première opération d’aménagement d’espace public conduite par Euroméditerranée : la terre sur place et d’autres gisements issus de l’économie circulaire ont été mélangés à du compost à hauteur de 30% pour former un sol fertile. L’apport de compost extérieur générant des coûts financiers et n’étant pas toujours optimal, un des objectifs de FricheEco sera de limiter les besoins en compost en prenant en compte d’autres paramètres comme la nature des argiles. La qualité des terres réemployées ou recyclées devra également permettre au futur parc du ruisseau des Aygalades de remplir les services écosystémiques[5] attendus en termes de biodiversité, stockage du carbone, gestion intégrée des eaux pluviales, d’usages du public et de dépollution. Le développement de ces connaissances et de ces méthodes pour reconstituer des sols fertiles permet théoriquement d’éviter le prélèvement ou l’apport de 100 000m3 de terres agricoles sur un autre territoire. 

 

Le réemploi des terres : un enjeu incontournable pour le développement de la nature en ville

 

Le périmètre Euroméditerranée 2 constitue un lieu d’expérimentation privilégié pour des méthodes aujourd’hui peu développées et qui deviendront incontournables dans le cadre du développement de la nature en ville. D’un point de vue local, les sols marseillais sont essentiellement rocheux et pauvres en terre fertile. Le réemploi est un enjeu d’autonomie vis-à-vis des autres territoires. D’un point de vue national, l’entrée en vigueur de la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN) va drastiquement réduire la possibilité de prélever des terres agricoles dans le cadre de projets de nature en ville. A ce jour, les projets de nature en ville dépendent des terres agricoles prélevées. La loi ZAN va ralentir l’artificialisation[6] de ces espaces et limitera la quantité de terres fertiles utilisables. Le traitement et le réemploi des terres sur site sont ainsi essentiels pour réaliser des projets de nature en ville de manière écologique et viable. 

 

Ces méthodes sont encore en phase d’expérimentation, les prélèvements sur site continuent et permettent de déterminer les actions les plus adaptées à mener. Au-delà des sols, le passé industriel de ce site a entraîné des conséquences sur la qualité de l’eau du ruisseau des Aygalades : pollutions, détérioration de la biodiversité… Le prochain épisode permettra de découvrir les actions de renaturation prévues le long du ruisseau. 

 


Sources

 

[1] Les terres inertes appartiennent à la catégorie des matériaux inertes. Ce qualificatif désigne les matériaux qui ont un impact neutre sur l’environnement, dans la mesure où ils ne provoquent aucune réaction chimique au contact d’autres matières et ne sont pas un danger pour la santé humaine. « Quelle est la définition de la terre inerte, d’un matériau inerte ? », ECT https://www.groupe-ect.com/faq/definition-terre-inerte/

 

[2] « A Bougainville, la possibilité d’un parc en terres polluées », Marsactu, 19/04/22 https://marsactu.fr/a-bougainville-la-possibilite-dun-parc-en-terres-polluees/

 

[3] Le projet de recherche-action FricheEco : https://www.euromediterranee.fr/sites/default/files/2023-09/CP%20Eurome%CC%81diterrane%CC%81e%20-%20Neo%20Eco%20-%20FrichEco.pdf

 

[4] L’économie circulaire est un aspect du développement durable qui croise les enjeux environnementaux, sociaux et économiques. Elle vise à produire des biens et des services en favorisant le réemploi, le recyclage, le local, et en limitant au maximum le gaspillage. Ainsi, elle prône et met en œuvre une consommation plus responsable et durable. « L’économie circulaire », Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 23/04/18 https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/leconomie-circulaire

 

[5] Les services écosystémiques désignent les « biens et services que les Hommes peuvent tirer des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer leur bien-être ». MEA (Millenium Ecosystem Assessment), 2005. 

 

[6] L’artificialisation désigne l’action d’imperméabiliser et d’urbaniser les sols de façon à faciliter les actions humaines pour construire des routes, des habitations, etc… Ces aménagements impactent les fonctions écologiques des sols et aggravent notamment le risque d’inondation en empêchant les sols d’absorber l’eau de pluie. « Artificialisation des sols », Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 24/09/23 https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/artificialisation-sols